Je ne sais pas pourquoi je me sens si supérieure. Et ce depuis une éternité. Depuis toujours ? Je me sens réellement au-dessus du lot. Pourtant, je suis retombée sur des écrits de 2017, d’un journal obscur dont j’avais quasiment oublié l’existence que je me suis empressée de passer en privé. J’assume envers moi-même ce que j’ai pu y écrire, mais hors de question de l’assumer en face d’un tiers. Je sais ce que j’ai écrit, maintenant que j’ai remis les mains dedans, je m’en souviens, mais j’ai fait une croix définitive sur tout ça il y a quelques mois.

Donc oui, je peux être aussi lamentable que n’importe qui, mais, quelque part, je me sens quand même au-dessus du lot. Pour tout et n’importe quoi.

Genre, au boulot. Tous mes collègues sont pourris à côté de moi. A part LB, elle, j’avoue, elle a des compétences que je n’ai pas du fait de son ancien poste. Mais c’est tout. Niveau efficacité, réactivité, productivité, anticipation, ils font pâles figures face à moi. Ils se plaignent tous de la charge de travail, de tout ce qu’il y a à faire, mais ce qu’ils font en deux trois jours, je le plie en deux heures. Tu m’étonnes qu’ils soient débordés. Bref, ils sont tous là à dire que pendant mon congé maternité, il y avait beaucoup plus de boulot : non. Je n’étais juste pas là. C’est tout.

Au niveau de la maternité aussi. Je ne comprends pas que, quand on l’a vraiment voulu, ça ne soit pas simple. Je ne conçois pas qu’on puisse regretter son enfant. Vraiment pas. Surtout quand il est désiré. Je me mets à la place de cet enfant qui n’a rien demandé du tout et qui se retrouve avec des parents tellement pourris qu’ils le regrettent. Non, sérieusement, je ne peux pas comprendre. Jamais je n’ai regretté ma minimoi. Je n’écrirais pas la phrase bateau que "c’est la plus belle chose qu’il me soit arrivée", parce que ce n’est pas une chose et j’ai toujours beaucoup de mal avec le principe de prendre de l’avance sur l’avenir et qu’il m’ait arrivé tout un tas de trucs chouettes dans ma vie, mais ma fille, c’est un pilier. C’est mon petit amour et son existence ne peut qu’embellir la mienne. Mais bon, ça c’est quand on est dans mes souliers, avec un Chéri aussi génial que le mien. Quand on n’est pas dans cette situation, une toute petite partie de moi accepte de se dire que ce n’est pas aussi simple que ma vision manichéenne. Mais la plus grande partie se dit que, quand même, faut réfléchir un peu avant de faire des enfants et voir tout ce que ça implique. C’est pour ça que le Chéri, je l’avais brieffé, pas de "Je voulais te faire plaisir." S’il n’en voulait pas. Soit. Je l’acceptais et je le quittais pour trouver quelqu’un qui avait lui aussi cette sincère envie. Hors de question de faire un enfant avec moi par dépit. Il en veut toujours cinq, donc j’imagine que pour lui, c’est loin d’être du dépit. Tant mieux pour nous. Tant mieux pour Mininous.

Après je ne dis pas que tout est facile. Mais tout vaut la peine. Les nuits entrecoupées, les premières tétées douloureuses, la fatigue. Tout ça vaut la peine. En vrai, j’ai même pas réussi à trouver trop de points négatifs… Quand tu te mets pas trop la pression, c’est vraiment simple. Genre, la bouffe : elle veut manger elle mange, elle ne veut pas manger, elle ne mange pas. On suit son rythme, c’est elle qui nous guide. En ce moment elle mange beaucoup. Soit. Si elle a besoin d’un litre et demi de lait en poudre par jour, allons-y ! Les recommandations visent plus le 600cl par jour, mais osef. Elle mange parce qu’elle a faim, pas parce qu’elle est gourmande. Quand elle n’a plus faim, elle arrête, on insiste pas, tout va bien. Je ne veux surtout pas qu’elle ait mes troubles alimentaires parce qu’il faudrait absolument qu’elle finisse son assiette. Être parent, c’est facile. Il faut juste donner beaucoup d’amour et pour le reste, il faut juste s’adapter. Et c’est là que je remercie ma capacité d’adaptation.

Par contre, mon discours de supériorité ne colle pas avec -au moins- un truc chez moi : mon rapport à la bouffe. Je me souviens quand je pestais contre mon Chéri par rapport à la cigarette, que moi j’étais tellement parfaite et que je n’avais pas d’addiction. Je mentais. Je me mentais. Mon rapport à la bouffe est loin d’être sain. Je n’ai jamais voulu mettre un mot dessus, parce que ce n’est pas un vrai problème. J’aurais l’impression de m’emparer d’un trouble qui n’est pas le mien. Des fois, j’ai peur de succomber à "l’effet de mode" et de me draper d’un problème psychologique que je me serais diagnostiquée toute seule comme une grande.

Parfois, je me demande d’où ça vient, ce rapport à la bouffe, on l’a tous les trois avec mes frangins d’ailleurs… Allez, je vais me lancer dans une petite psychologie de comptoir, même si je pense avoir la réponse. Notre rapport à la bouffe vient de nos deux parents. De la même façon pour les deux. Je commence par Maman, je connais mieux son histoire, pour Papa, je vais me lancer dans des suppositions par rapport aux bribes qu’il lâchent par-ci par-là.

Donc Maman. Quand elle est arrivée en France vers 15 ans, elle est partie vivre chez des cousines dont les parents diplomates étaient très souvent en déplacement et donc elles étaient que toutes les trois la plupart du temps. Avec chacune son budget. Et mes grands-parents envoyaient de l’argent à ma mère pour qu’elle puisse se nourrir et s’habiller, mais ils ne se rendaient pas vraiment compte du prix de la vie à Paris et puis ma mère dépensait pas mal en livres. Du coup elle se retrouvait souvent en fin de mois avec peu d’argent et son repas de fin de mois préféré était, du pain avec des cacahuètes. La petite africaine qu’elle était ne savait pas cuisiner avec ses produits qu’elle ne connaissait pas et les produits qu’elle connaissait était hors de prix. Donc elle se satisfaisait de ça. Mais elle avait souvent faim.

Un jour, elle m’a avoué que sa hantise était qu’on manque de nourriture. Du coup, elle a toujours veillé à faire l’inverse. Quand je vais manger chez des gens, mon ventre pleure à chaque fois qu’il voit les quantités dans l’assiette. Sérieusement, quand on fait une raclette à 4, mes parents prennent du fromage en disant qu’on sera 9. Et tout est fini quasiment. On mange au moins pour deux personnes "normales". Et dans la famille, je suis la seule à être grosse… Foutue génétique.

Pour Papa, lui venait d’une famille très modeste. Comme il nous disait souvent, la viande, ils en mangeaient quasiment jamais et sinon, le reste du temps, c’était du potage. Du coup, pareil, quand il est devenu indépendant, il s’est vengé sur la bouffe. Et puis il est tombé sur Maman. Maman et ses repas pour un régiment entier.

Alors pour nous, la nourriture est un plaisir. Quand Maman veut nous faire plaisir, elle nous demande ce qu’on veut manger. Parce que la bouffe, c’est notre truc préféré. Surtout à moi. Je ne dis jamais autant à ma Maman que je l’aime que quand elle fait un plat que j’aime. Je lui fais des câlins et tout. Ça me fait penser que ça fait un moment que je ne lui ai pas fait de câlins. Weekend prochain prochain, je rattrape ça.

Mais du coup voilà, je pense que mon problème avec la bouffe est liée à un problème qui est à la base à mes parents et qu’ils m’ont transmis. Parce que, perso, j’ai jamais manqué de bouffe. Hormis peut-être l’été où j’ai découvert LoL, juste avant de partir en Angleterre quand je fuyais Papa suite à mon abandon de la prépa. Et j’avais de l’argent pour me nourrir… J’avais juste la flemme d’aller faire les courses et je voulais pas trop mal manger histoire de rester canon si jamais il se passait un truc avec Val'. Quand je repense à cet été, je me dis quand même que c’était sympa. Geeker toute la journée sur le canapé, me nourrissant uniquement de pain de mie tartiné de miel et de pomelos en attendant un message de Val, Ben' ou S. pour me sortir de ma torpeur. Ça fait pas rêver, mais c’était plutôt sympa, en y repensant. Cette période était clairement d’un jaune intense, bien chaud. Un peu moite.

Bref. Maintenant que j’ai posé sur l’écran une petite théorie qui me travaille de temps à autre, est-ce que je peux miraculeusement changer mon rapport avec la nourriture ? Ça me semble quand même ambitieux, surtout quand on sait que je ne fais que prier mentalement le Chéri depuis ce matin d’avoir pensé à faire la pâte à gaufres. Parce que parfois il est drastique. S’il a décidé qu’on arrêtait les conneries niveau bouffe, ça peut être du jour au lendemain et pas en douceur… J’ai besoin de douceur… Une dernière tournée de gaufres et ensuite on limite. Pas on arrête, on limite juste… La nourriture c’est quand même trop un plaisir. Mais faudrait que ça arrête d’être obsessionnel pour moi. Vraiment.